ABA – “Applied Behavior Analysis”
Par Annelise Durant, psychomotricienne
En tant que psychomotricienne exerçant en structures médico sociales et pédo psychiatrique, quelle était initialement votre perception de la méthode ABA ?
J’en avais une perception négative, influencée par ma formation et mon environnement professionnel, ainsi que par certains médias ou le récit d’expériences malheureuses… probablement influencée en résumé par la manque d’ouverture d’esprit en France quant aux méthodes dites nouvelles, et par de mauvaises pratiques de cette méthode. Je croyais également que l’ABA se destinait uniquement aux enfants autistes.
Comment s’est faite votre rencontre avec la méthode ABA ? Et avec Caroline Peters ?
En cherchant des informations sur internet, je suis tombée sur la vidéo d’un enfant épileptique, polyhandicapé, présentant aussi une forme d’autisme, et ressemblant par ses troubles à mon fils Gabin. J’ai alors contacté l’association qui avait posté cette vidéo pour en savoir plus sur leurs pratiques. Ils étaient supervisés par Caroline, en ABA VB. Ils m’ont donné ses coordonnées, suite à quoi Caroline est venue rencontrer Gabin à notre domicile.
Quels étaient les besoins de Gabin ? Qu’est-ce qui vous a conduit à lui proposer cette méthode?
Puis à poursuivre ?
Gabin a des besoins divers et variés, tenant au fait qu’il est polyhandicapé suite à une épilepsie sévère précoce pharmaco résistante survenue à l’âge de 6 mois. Le diagnostic n’est pas précis, mais sa pathologie s’est d’abord apparenté à un syndrome de West, évoluant vers un syndrome de lennox Gastaut. Il a maintenant 7 ans, et pour plus de visibilité sur la nature de son handicap, je dirais qu’il ne parle pas (mais communique de mieux en mieux), ne marche pas (encore!?… mais se déplace à 4
pattes et se met de plus en plus debout), traverse toujours des périodes difficiles du fait d’une épilepsie très active (mais qu’il est de plus en plus heureux de vivre, « présent » et actif !).
Je crois que le plus difficile, en tant que parents, a été de le voir perdre ses sourires, ses centres d’intérêt qui étaient ceux d’un bébé typique avant la maladie, puis ses regards… en bref, tout ce qui fait le lien et la relation. Nous ne savions plus comment susciter son intérêt. Gabin ne me regardait plus, alors qu’il me dévorait avant des yeux quand je l’allaitais, et nous nous demandions parfois si il nous voyait. Ses besoins et nos besoins, intimement liés, étaient de retrouver une relation autre que celle du maternage : Gabin s’apaisait parfois quand il était porté, contenu, mais nous n’avions pas d’échanges.
Nous nous sommes « engagés » dans cette méthode parce qu’elle nous a permis de retrouver la motivation de Gabin, en admettant d’abord qu’il ait des centres d’intérêt différents et restreints, mais aussi que ceux ci étaient « la porte d’entrée » pour lui permettre de communiquer et d’accéder à certains apprentissages.
Le simple fait qu’il nous regarde à nouveau, puis de plus en plus souvent et durablement, qu’il vienne à nous de lui-même, et nous sourit, aurait suffit à nous faire poursuivre, et ce même si nous avons depuis d’autres objectifs.
Quelle est la spécificité de l’approche de Caroline Peters par rapport à d’autres approches ABA ? Comment vous êtes vous appropriée la méthode de Caroline Peters ?
Je ne connais pas assez les autres approches ou façons de pratiquer l’ABA pour faire un comparatif ou une analyse objective des différences. Je ne peux donc dire que mon ressenti, basée sur une expérience limitée :
Je dirais que ce qui m’a plu chez Caroline, c’est son analyse très objective de la situation, basée sur une observation fine, et donnant des objectifs pratiques et en cohérence avec la problématique de Gabin. Il n’a pas été question de programmes pour acquérir des compétences plaquées et selon moi inutiles, comme on le voit faire parfois.
Caroline et un psychologue qui l’a relayée nous ont fait travailler d’abord la base : trouver la motivation de Gabin, faire en sortes qu’il ait envie d’être avec nous, qu’il nous regarde, qu’il fasse des demandes…
L’inadaptation de nos approches antérieures nous est alors parue évidente.
Je me souviens du premier objectif fixé par ce psychologue, objectif qui me paraissait alors très ambitieux : « Il faut que Gabin viennent de lui même vers vous (ses parents), qu’il préfère cela au fait de s’auto-stimuler avec ses mains. »
Aujourd’hui, Gabin recherche notre présence la majeure partie du temps, ainsi que celles des autres adultes ou enfants qui l’entourent.
Dans le cas de mon fils, je me suis approprié cette méthode pour lui permettre de faire des expériences psychomotrices qu’il ne ferait pas de sa propre initiative, pour lui apprendre des capacités fonctionnelles (ex : se saisir d’une fourchette, dépasser un obstacle au sol, sortir seul de son lit…), pour améliorer ses capacités de communication, et pour « l’ouvrir » à d’autres centres d’intérêt, bien que ce dernier point soit le plus difficile avec Gabin…
Dans un premier temps cependant, nous avons essentiellement travaillé sur ses troubles du
comportement :
Gabin pouvait par exemple passer des heures à geindre devant la porte de la cuisine, car il ne voulait alors qu’être dans sa chaise haute dans la perspective d’un repas. C’était très difficile à vivre au quotidien. Il n’essayait pas non plus de se déplacer seul au sol et geignait pour être presque constamment porté…
La colère, les pleurs, les geignements, étaient probablement alors son seul moyen de communication. Cela s’expliquait peut être par sa douloureuse histoire médicale, mais nous n’arrivions pas alors à sortir de cette « spirale infernale » que nous entretenions sans, bien évidemment, nous en rendre compte.
Quels ont été les ajouts de la psychomotricité à cette méthode ?
Je crois que les enfants qui n’ont pas un développement harmonieux, ou qui présentent des troubles ou un retard psychomoteurs, qu’ils soit d’ailleurs très importants, comme pour mon fils, ou plus légers, ont des bénéfices à un suivi psychomoteur.
Quand la communication et la relation sont difficiles, voire inexistantes, la grande difficulté reste de les faire adhérer, de leur donner l’envie, de susciter leur motivation pour de nouvelles expériences et pour développer leur potentiel dont ils n’ont pas toujours conscience.
Je pense en fait que psychomotricité et ABA sont complémentaires : travailler la psychomotricité devrait être un des premiers objectifs en ABA pour les enfants en grande difficulté, et c’est en même temps très difficile si on n’a pas « accès » à l’enfant, si il n’est pas motivé, donc si on n’a pas le secours de certaines techniques comportementales.
Je regrette souvent que certaines pratiques de l’ABA favorisent essentiellement des compétences cognitives, intellectuelles, parfois plaquées, sans que l’enfant n’aient les pré-requis psychomoteurs nécessaires à ce type d’apprentissage ( coordination, postures, adresse, équilibre….).
Selon vous, à quels enfants pourraient bénéficier cette approche ?
Elle pourrait convenir à bien plus d’enfants que seulement ceux atteints d’autisme. Les techniques comportementale pourraient également être utilisées pour des enfants atteints de trisomie 21, de polyhandicap, de troubles du comportement…
Concrètement, quelle organisation suppose le suivi de cette méthode, en terme de formation, d’entourage, de temps de prise en charge…
C’est difficile de répondre à cette question, car les situations sont différentes. Mon fils bénéficie par exemple d’environ 9 heures de prise en charge individuelles à la maison, avec une intervenante que j’ai formée, et mon mari et moi agissons au quotidien sur les principes de cette méthode. Il est sinon accueilli la journée dans un IME qui ne pratiquent pas ces méthodes, et j’ai cependant l’impression d’avoir trouvé pour lui le bon équilibre, après beaucoup de « tâtonnements » et de remises en question.
Pour des enfants autistes en capacité d’intégrer un milieu de vie « normal », d’être par exemple scolarisés, je suis par contre convaincue qu’une stimulation intensive est nécessaire. Tout dépend de l’enfant, de ses besoins et capacités, mais aussi de son entourage et des attentes et possibilités des parents.
Cette approche se suffit-elle à elle-même, doit-elle être conçue comme complémentaire aux autres accompagnements éducatifs, en orthophonie… de l’enfant, ou encore, doit-elle imprégner les approches de tous les intervenants auprès de l’enfant ?
Cela dépend encore selon moi des situations. Parce que Gabin est maintenant capable d’interagir avec son environnement, et de se faire comprendre, je suis contente qu’il bénéficie des activités de son IME, dont les professionnels ne sont pas formés à ces méthodes. Quand il n’en était encore pas là dans son développement, je n’envisageais alors rien d’autre qu’une structure avec du personnel formé.
Dans l’idéal cependant, j’estime que cette méthode devrait comme vous dites imprégner les approches de tous les intervenants du quotidien, ne serait ce que dans le fait de savoir renforcer les comportements souhaités pour une vie harmonieuse en collectivité, et d’éteindre les comportements problématiques…. Ce qui ne signifie pas que les prises en charge doivent être individuelles ! C’est
une autre idée reçue sur l’ABA…
La condition encore une fois, est que les objectifs travaillés soient cohérents avec les projets de vie de l’enfant et de son groupe de vie.
Que répondez-vous aux réticences face à la méthode ABA à laquelle sont parfois adressés des reproches éthiques (dressage de l’enfant) et d’efficacité ?
Je crois que ces reproches éthiques n’ont plus lieu d’être quand on a une bonne connaissance de cette méthode, et qu’il ne faut pas hésiter à s’adresser à d’autres professionnels quand on a eu une expérience négative.
Quant à son efficacité, elle est selon moi indéniable, à condition, encore une fois, d’avoir des objectifs cohérents pour l’enfant, en fonction de ses besoins et capacités.
Quelles questions les parents doivent-ils se poser avant d’entamer cette démarche ? Quels conseils pratiques donneriez vous à des familles intéressée par votre approche de l’ABA?
La première question est celle de la motivation, car c’est une méthode qui demande, au début surtout, beaucoup d’investissement personnel, ainsi qu’une grande remise en question de sa façon d’interagir avec son enfant. Je relativiserai ensuite en précisant que l’adaptation de nos comportements devient presque spontané par la suite, presque réflexe, mais que cela résulte d’un
véritable apprentissage. Personnellement, c’est de voir Caroline et le psychologue qu’elle nous a conseillé pratiquer avec mon enfant qui m’a d’abord convaincue, la théorie ou les forums de discussions sur le sujet m’avaient laissée sceptique…Je conseillerais donc aux parents d’essayer !… en veillant cependant à s’adresser à des professionnels compétents, tout en étant conscients que chaque méthode a ses limites, et surtout que chaque enfant a ses limites.
Enfin, je dirais que l’ABA fait partie d’un tout. Nous nous en servons au quotidien, mais elle n’a pas conditionné notre façon de vivre ou entamer finalement notre spontanéité avec Gabin… au contraire ! Et nous sommes aussi parfaitement conscients que l’évolution de Gabin est la résultante de plein d’autres composantes de sa vie (la relative stabilisation de son épilepsie, sa propre évolution, sa prise en charge et sa socialisation à l’IME, notre mieux être…).