Quentin Rigault est un jeune garçon qui a vu son existence basculer alors qu’il n’avait que 4 ans. Un matin d’orages, il est fauché par une violente crise d’épilepsie : le début du reste de sa vie. Il est atteint de la maladie de Fires, un syndrome épileptique par infection fébrile, particulièrement rare et pharmaco-résistante. Sa maman, toujours prête à se battre pour le bien de son garçon, témoigne pour la première fois.
Par Vincent Balmisse
puis quelques mois, Quentin prend un nouveau traitement, beaucoup moins lourd, qui lui permette de profiter, au même titre que sa maman, de plus de temps calmes. © Pierrick DELOBELLE
En cette fin d’après-midi, Quentin est d’humeur joueuse. Sous le regard de ses innombrables peluches, il s’amuse avec une petite lampe qui change de couleur à son contact. Le garçon, qui vient d’engloutir un copieux goûter, a retrouvé le sourire, l’appétit et un brin de vigueur. Dominique, son auxiliaire de vie, et Magali Rigault, sa maman, savourent cet instant de répit. Quelques jours plus tôt, Quentin avait été frappé par un orage. Pas de ceux qui mouillent, qui grondent et qui électrisent le ciel. Le sien est intérieur. Et lorsqu’il se déclenche, il se manifeste par une salve de convulsions épileptiques pouvant durer plusieurs jours.
Quentin a 11 ans et il est atteint du syndrome de Fires, un acronyme anglais (Febrile infection-related epilepsy syndrome) que l’on traduit par Syndrome épileptique par infection fébrile. Cette maladie, pharmaco-résistante, peut toucher les enfants comme les adultes et se manifeste notamment par une épilepsie rare, des troubles du comportement et des troubles autistiques. Le syndrome se développe sans cause structurelle, toxique ou métabolique apparente.
Pourtant, tout allait bien
Le 26 septembre 2011, Quentin naît à Aurillac, dans le Cantal, en parfaite santé. Ses premières années glissent sur lui, sans encombre. Il est même plutôt en avance sur son âge. D’ailleurs, il n’hésite pas à challenger son frère et sa sœur aînés, Charles et Solène, lors de parties de jeux de société. Tout semble donc sur les rails pour ce petit garçon rarement malade qui rallie Bourges, avec sa famille, en août 2015. Mais un jour, en rentrant de l’école, Quentin se plaint d’un mal qui s’est à la fois emparé de sa tête, de ses yeux, de son ventre et de ses jambes. Un épisode de fièvre vient l’affaiblir un peu plus, mais pas de quoi inquiéter outre mesure son entourage. Jusqu’à ce 28 mai 2016, veille de fête des mères.
"Il est environ 7 h 30 du matin. Dehors, il fait orage. J’entends des petits pas dans le couloir. Je me lève et là, je trouve Quentin allongé sur le sol, raide, inanimé, en état critique. Je crie, je lui donne des claques. Il a les yeux grands ouverts, le regard fixe. Mais rien ne se passe, il reste raide. Mon mari appelle les pompiers, mais j’ai la sensation que mon fils est comme obstrué. Alors, j’entreprends un bouche-à-bouche. Je sens qu’il reprend petit à petit sa respiration."Magali Rigault (La maman de Quentin)
À l’arrivée des pompiers, l’enfant est à nouveau épris de convulsions. Le début du reste de sa vie.
"Les professionnels sont démunis face à ce syndrome"
Hospitalisé à l’hôpital pédiatrique Clocheville de Tours durant deux mois, il est intubé et plongé dans un coma artificiel. Pendant ce temps, il est soumis à une multitude d’examens. La maladie de Lyme, une encéphalite, le virus de l’herpès sont évoqués. Mais chacun des tests réalisés revient négatif. Tout est "normal". Ses réveils sont même parfois porteurs d’espoirs quand il reconnaît ses proches. Mais les convulsions quotidiennes rappellent vite tout le monde à l’ordre. Aucun traitement ne s’avère efficace. Pire, Quentin contracte un certain nombre d’allergies à leur égard. "On était anéanti, on ne comprenait pas ce qu’il nous arrivait, se remémore sa maman. C’était comme s’il s’était fait renverser par une voiture. Mais, je gardais espoir."
Jusqu’au jour où le corps médical annonce que Quentin va rester lourdement handicapé. "Cela a été très dur émotionnellement de l’apprendre à son frère et sa sœur. Mais, on s’est vite dit que nous ferions tout notre possible pour qu’il soit le moins handicapé possible." Quelques semaines plus tard, un diagnostic est enfin délivré. Il arrive de l’hôpital Necker AP-HP, à Paris, où la professeure de neurologie pédiatrique, Rima Nabbout, s’avance comme une des référentes du syndrome en Europe.
Mais entre-temps, Quentin s’assoit, marche, mange… "C’est extraordinaire, tout revient, rembobine Magali Rigault. Au-delà de la motricité, il retrouve la mémoire ancienne et tout son niveau scolaire." Le feu vert est donné par l’hôpital Necker, le jeune garçon peut retrouver son "chez lui" le 20 juillet 2016. Tout rentre dans l’ordre. La seule interrogation vient de son comportement : les traitements le rendent agressif. Qu’importe, il va pouvoir retrouver le chemin de l’école à la prochaine rentrée scolaire.
L’épuisement de la famille
Mais la maladie revient au galop. Le système scolaire classique laisse rapidement apparaître ses limites. Même constat lorsqu’il intègre l’Unité localisée d’inclusion scolaire (Ulis) de l’école Saint-Dominique, à Bourges. La fréquence des convulsions est trop importante (un orage tous les dix jours). À chacune d’elles, Magali Rigault est appelée pour venir récupérer son fils. "Les professionnels sont démunis face à ce syndrome : les enseignants, les auxiliaires de vie scolaire (AVS), mais aussi les psychomotriciens, les neurologues…" La maladie effraie les intervenants qui, bien souvent, se trouvent désarmés par la violence de ses manifestations. La maladie épuise, aussi. Car à chaque crise, tous les progrès réalisés par Quentin sont réduits à néant. Dès lors, il faut tout recommencer.
Avec la Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH), la famille Rigault se démène pour trouver une structure adaptée à l’état de santé de leur petit dernier. Il en va du bien de l'enfant, mais aussi de son entourage proche. "Depuis le déclenchement de la maladie, tout s’est arrêté pour nous", souffle Magali Rigault qui n’a jamais pu reprendre son activité de fonctionnaire territoriale. Au moment du confinement, dû au Covid-19, la maman confie avoir été dans un "état d’épuisement avancé, je ne savais plus quoi faire. Mais il fallait tenir pour les plus grands". Le temps presse.
Après de longs mois de combat, un semblant d’équilibre commence à poindre. Depuis septembre 2020, Quentin va à l’Institut médico éducatif (IME) du Gedhiff, à Bourges, cinq jours par semaine. Un taxi vient le chercher le matin à son domicile et le ramène le soir. Et en cas de convulsion, il reste à l’IME. Un nouveau neurologue, de Tours, a également pris part à ce "renouveau" avec l’élaboration d’un nouveau traitement, beaucoup moins lourd, et la pose d’un stimulateur du nerf vague. Ce petit dispositif, posé au niveau de la clavicule, envoie des impulsions électriques au cerveau et est censé réduire la fréquence des convulsions de 50 %, sans effets secondaires.
"On sent que Quentin va mieux, il a retrouvé le sourire. La fréquence des orages est désormais de un tous les trente jours. Depuis le mois de juillet, il arrive de nouveau à manger de la main droite. On sent qu’il veut jouer, communiquer", apprécie sa mère qui, elle, retrouve un peu de temps pour elle. Quelques séances de sport et la chine de meubles rythment désormais ses journées avec l’espoir, un jour, de retourner travailler. Mais son souhait le plus cher réside dans la recherche (depuis 2021, l’Institut du cerveau, à Paris, s’intéresse à la maladie en partenariat avec l’université de Yale aux États-Unis) pour qu’enfin "quelque chose arrête ce cycle infernal qui dégrade le cerveau de Quentin et qu’il reparle un jour."
Pour aider la recherche
Cette maladie reste encore très mystérieuse et peu connue. Mais depuis 2011, les familles confrontées au FIRES peuvent compter sur l’appui de l’association Paratonnerre, la première au monde à y avoir été dédiée. Par son biais, les familles peuvent échanger sur le syndrome, sur ses manifestations et sur les façons d’y faire face. L’autre mission de l’association est de monter des projets de recherche. "Aujourd’hui, la recherche en est au stade de la compréhension du fonctionnement des mécanismes du syndrome, explique Rupert Schiessl, président de Paratonnerre. On pense qu’il y a un mécanisme inflammatoire : l’inflammation entraînerait une épilepsie qui entraînerait elle-même l’inflammation, d’où ce cycle infernal qu’aucun médicament n’est en mesure, pour l’heure, de stopper. Au cours des trois dernières années, l’association a apporté une aide certaine à la recherche." Pour aller plus loin et donc avoir l’espoir, qu’un jour, un traitement puisse s’avérer efficace, l’association est à la recherche de dons.
Pour cela, rendez-vous ici. Par ailleurs, l’association est à la recherche de bénévoles, même pour une aide ponctuelle, afin qu’elle puisse se développer sur les réseaux sociaux ou organiser des levées de fonds. Contact : magalirgault18@orange.fr
Cinq questions à Vincent Navarro, responsable de l’Unité d’épilepsie à l’hôpital Pitié Salpêtrière, AP-HP, Sorbonne Université
En quoi consiste la maladie de Fires ?
Une crise classique dure souvent une minute et est assez stéréotypée. C’est un événement brutal, mais de courte durée. De façon assez exceptionnelle, les crises d’épilepsie peuvent ne pas s’arrêter toutes seules et durer des minutes, des heures, voire des jours. C’est quelque chose d’extrêmement grave car, quand on convulse, souvent, on ne respire plus. Une crise qui ne s’arrête pas, c’est ce que l’on appelle un état de mal épileptique. Le syndrome Fires peut être une raison de cet état de mal. Quels que soient les soins prodigués, l’état de mal va durer des semaines. Cette durée est de nature à fragiliser le cerveau car ses cellules n’aiment pas être bombardées de neurotransmetteurs. Selon les patients, il peut y avoir des séquelles neurologiques. Et le patient, alors qu’il n’était pas épileptique et parce qu’il a des sortes de cicatrices dans sa tête, peut continuer à faire des crises durant toutes sa vie.
Le diagnostic est-il difficile à établir ?
Oui, parce que ce syndrome est une découverte récente. Jusqu’à il y 5-6 ans, c’était plus flou. Le fait d’avoir un terme spécifique aide beaucoup les familles. Elles peuvent se rapprocher d’associations pour les renseigner sur la maladie, pour leur donner des conseils d’organisation de vie et de rééducation. Cette terminologie est aussi importante pour le médical, car cela permet de sensibiliser les professionnels. Je suis neurologue, mais ce sont mes collègues réanimateurs qui sont en première ligne pour la prise en charge de ces patients. Donc ça permet de développer de nouveaux traitements et de la recherche.
Quel est le mécanisme de cette maladie ?
Les hypothèses actuelles seraient qu’il se passe dans le cerveau une réaction inflammatoire responsable d’une irritation et donc de cette crise prolongée. Cette inflammation pourrait faire suite à une infection. Par exemple, quand un enfant contracte une rhinopharyngite, son système immunitaire s’active pour détruire le virus. Lors d’un Fires, le système immunitaire s’emballerait et se mettrait à attaquer tout ce qu’il voit et libèrerait des cytokines : ces protéines participent à l’inflammation en jouant le rôle de messagers pour faire venir encore plus d’inflammation.
Où en est la recherche ?
On est en train de développer des approches de thérapie ciblée qui vont tenter de détruire électivement des cytokines. Ces médicaments commencent à arriver sur le marché, mais étaient, initialement, dédiés à des maladies auto-immunitaires comme la polyarthrite. On commence à avoir des résultats, mais il y a un gros besoin de compréhension. Pour cela, on est en train de monter un système de collecte de prises de sang de tous ces patients Fires pour faire des recherches sophistiquées sur les cytokines. Ces dosages sont très difficiles et très chers à réaliser. L’idée serait de doser ces dizaines de petites molécules spécifiques pour comprendre celles que l’on doit neutraliser par des thérapies ciblées.
Cette maladie réduit-elle l’espérance de vie ?
Comme c’est une maladie qu’on a réussi à identifier que depuis peu, c’est difficile de donner une évaluation. J’ai quand même envie de dire que, grâce aux progrès de la médecine, on peut espérer qu’une fois le cap de la réanimation passé, il n’y ait pas une réelle baisse de l’espérance de vie. Il y aura par contre une baisse de la qualité de vie.
Vincent Balmisse
Lien vers l'article original sur Le Berry Républication cliquer ici